CRITIQUES

She's Gotta Have it ou Spike Lee pour les millennials

Incarnée par Tracy Camila Jones en 1986, Nola Darling fait son come back dans cette série en deux saisons adaptée du long-métrage de Spike Lee. Le réalisateur arrive encore à surprendre malgré la difficulté de garder la dimension sulfureuse d’un personnage dont les libertés ne sont plus si subversives….

publié le 10 mai 2021

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Netflix a fait un remarquable travail de promotion sur Instagram en collaborant avec l'artiste Tatyana Fazlalizadeh

Cette production fut l’une des têtes de gondoles de Netflix lorsque la plateforme a commencé à enrichir son catalogue avec des contenus « marketés » à l’intention d’un certain type de communauté (noire, latina, LGBTQ+ etc.). Avec She’s Gotta Have it, le géant du streaming ajoutait un nouveau fleuron à son tableau de chasse en collaborant avec Spike Lee, scénariste et réalisateur prolixe et militant qui contribua à populariser la culture noire et urbaine américaine dans les années 80 et 90. Comment remettre au goût du jour la mythique Nola Darling, héroïne du film éponyme qui connut un joli succès malgré un budget dérisoire ? 

Il faut dire que She’s Gotta Have It est un film qui a plutôt bien vieilli (à l’exception d’une scène plus que discutable reniée par Spike Lee himself). Le long-métrage de 1986 est une fiction qui emprunte les codes du documentaire pour peindre le portrait de Nola Darling à travers des interviews de son entourage. 

Nola est une artiste de Brooklyn qui revendique sa liberté et refuse se laisser enfermer dans une case, encore moins dans une relation amoureuse. Parmi ses prétendants, Jamie Overstreet (le banquier), Mars Blackmon (le comique) et Greer Childs (le Narcisse), trois archétypes d’hommes parmi lesquels elle refuse de choisir. L’enjeu de l’histoire consistait à savoir qui elle allait choisir entre ses trois amants. She’s Gotta Have It est un long-métrage qui, trente ans après, reste cruellement d’actualité pour ce qui est des thématiques telles que l’émancipation féminine et la précarité attachée au statut d’artiste.

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Tracy Camila Jones, dans "Nola Darling n'en fait qu'à sa tête" en 1986

Portrait d'une jeune fille en fleur à Brooklyn

La série a très bien su actualiser certaines séquences du film de 1986, et même à améliorer leur sémantique et leur esthétique. Parmi celles-ci, les interpellations de passants lourdingues à Nola, transformées en un formidable prologue très éloquent sur le harcèlement de rue. 

C’est d’ailleurs une des forces de cette série qui est parvenue à amplifier la charge militante de l’histoire de Nola Darling parfois en la connectant à des sujets très actuels dont « Me too », l’élitisme du milieu artistique, l’appropriation culturelle, la gentrification pour ne citer que ceux-là. L’épisode #LovedontPayDaRent dissèque la gueule de bois de l’Amérique au lendemain de l’élection de Donald Trump mérite le détour ne serait-ce que pour l’intermède musical et visuel sur cet événemement vécue comme une catastrophe pour la très libérale et métissée Brooklyn. 

L’univers musical de la série est très agréable et s’approche de la finesse de la bande-son du film originel, composée par le père de Spike, Bill Lee. Le travail sur la bande-son contribue à donner une profondeur de champ à ce nouveau tableau que Spike Lee peint sur Brooklyn.

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Spike Lee avec sa nouvelle muse DeWanda Wise. Credits: Getty Image

Deux saisons dont une en trop

Cela dit, She’s Gotta Have It a péché, et à de multiples reprises, par excès. La série aurait pu se défaire de quelques scènes franchement grotesques qui n’ont rien apporté à l’histoire, à l’image des costumes lunaires de Greer Childs.  On ne peut s’empêcher de constater que certains dialogues n’ont d’autre but que de montrer à grand coup de punchlines que les protagonistes sont branchés, qu’ils parlent la novlangue des millenials, qu’ils écoutent Kanye West et ont un compte Instagram. La vingtième réplique soit-disant cool et pince-sans-rire vous fera sans doute grimacer.

En revanche, on ne peut rester indifférent devant des personnages secondaires mais tellement touchants comme Mars Blackmon (que Spike Lee a joué en 1986) ou de Miss Raqueletta Moss, l’institutrice qui parle d’elle à la troisième personne.

Nola est "woke" et veut que vous le sachiez

Malheureusement, la saison 2 mettra à rude épreuve le capital sympathie pour Nola Darling. Elle devient franchement agaçante avec ses mots un peu trop savants, ses longues robes à traine et ses talons aiguilles qui la suivent à la plage, ses auto-portraits complaisants et surtout son wokisme pas toujours nuancé. Nola adresse des déclarations de guerre tout azimuts, y inclus contre les acteurs noirs britanniques qui « prennent le boulot des acteurs noirs-américains » (sic).

On peut aussi se demander quelle mouche a piqué Spike Lee pour qu’il relance l’intrigue secondaire sur Shemeka qui avait déjà épuisé tout son potentiel comique et dramatique dans la première saison. Une impasse dont on ne revient pas.

De même, on comprend tout à fait que Brooklyn a une énergie très photogénique mais la block-party en guise d’hommage à Prince n’avait franchement pas beaucoup d’intérêt, tout comme l’histoire sans grande conviction de Nola avec Amber. Bien qu’elle ait suscité des conversations sur Twitter, She’s Gotta Have It n’a pas été renouvelée pour une troisième saison par Netflix. Il eut peut-être fallu en faire une mini-série pour plus d’authenticité, quitte à écourter le plaisir des retrouvailles avec Nola Darling.

Di√ Score

3/5

Fiche technique

  • Titre original : She’s Gotta Have It
  • Réalisation : Spike Lee
  • Distribution : DeWanda Wise, Anthony Ramos, Lyriq Bent, Cleo Anthony
  • Pays : Etats-Unis
  • Année : 2017
l'auteure

Ndeye Mane Sall

Spécialiste en Communication & Marketing Digital

Amateur de cinéma et de séries, je voulais partager mes derniers coups de coeur (ou pas) sur les productions et l’actualité de cette industrie.

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